21 mars 2007

Le Gros Nuage noir

Un des symptômes classique de la dépression, c’est la fatigue.

C’est amusant comme la fatigue peut prendre des formes et des degrès différents, qui se superposent, se relaient à l’envi.
Il y a la fatigue physique, psychique, morale, latente ou « effet massue ».

Il y a la fatigue d’après l’effort, celle qui vous a fait grimpé le taux d’endorphines et vous laisse dans un état proche de la béatitude sans pour autant vous faire sombrer de suite dans le sommeil, mais en vous y faisant glisser tout doucement. Il y a la fatigue physique aussi, qui vous énerve, vous maintient éveillé, par douleur ou tout simplement parce que votre coeur n’est pas encore « descendu ».

Il y a la fatigue nerveuse de la journée de merde, celle où l’on se dit que l’on aurait mieux fait de rester couché, et qui nous fait craquer quand enfin, on trouve une personne sur laquelle vider ce trop-plein trop vite accumulé, cette personne qui va être notre souffre-douleur puis notre consolateur une fois la fatigue et les larmes déversées.

Il y a la fatigue d’usure, physique et nerveuse, dont vous êtes conscient mais qui vous enlève les forces de la combattre.

Et parfois tout ce bordel se mélange, se succède, par périodes plus ou moins regulières. Certaines de ces fatigues sont nécessaires, d’autres normales. Et les autres, on ne peut que les constater sans savoir s’il faut pour autant les déplorer.


Quand on est dépressif, il ne s’agit pas de cette fatigue clairement identifiable et nécessaire, ce qui du coup rend le diagnostic difficile –en effet, la fatigue « dépressive » peut très bien se cacher derrière les autres, tout comme les autres fatigues cumulées peuvent ressembler à de la fatigue dépressive.
Je dirais qu’il s’agit d’une fatigue psychique et morale insidieuse, perverse, qui s’infiltre,vous phagocyte, vous parasite tout en vous laissant vivre, en vous affaiblissant un peu plus chaque jour jour tout en prenant garde de ne pas trop vous affaiblir, pour que vous ne vous rendiez pas compte et continuiez à vivre normalement.

N’ayant pas trouve le moyen de l’éradiquer, j’ai entrepris d’observer la mienne afin de pouvoir mieux l’apprivoiser, du moins vivre avec sans trop faire chier mes congénères.
En même temps chuis un spécimen idéal pour ce genre d’étude, vu ma propension à « absorber » commes une éponge le stress, la tension des autres, qui une fois ingérée va se muter en fatigue. Je ne peux pas m’en empêcher, je réagis « épidermiquement » aux autres, je les sens, les comprends « avec mes tripes » avant de le faire avec ma tête. Et finalement je ne veux pas changer ça, c’est ce que je suis (maintenant que je commence à l’accepter j’vais pas changer bordel !) et je pense que c’est une richesse. Pour peu que j’arrive à ne plus la subir et à la maitriser.

Soit.

Disons que dans un premier temps, j’accumule la fatigue nerveuse, qui prend du coup aussi la forme de fatigue physique (courbatures, perte ou augmentation de l’appétit). Je n’ai la plupart du temps qu’une envie : dormir (et manger). Le sommeil devient de moins en moins réparateur, et les 9h d’habitudes nécessaires et suffisantes à me requinquer quel que soit mon état s’allongent à l’infini. Evidemment, perte totale d’énergie et d’envie de quoi que ce soit (m’enfin à quelques exceptions près hein), tendance à la parano, au repli sur soi, fragilité et irritabilité plus grandes... Je deviens la cible facile de n’importe quel microbe passant par là. Bref, je me « loquifie ».

Puis j’arrive à un tournant, un « climax », à partir duquel je rentre dans la phase 2, où ma fatigue devient « froide ». Je cesse d’y réagir, et mon corps et ma tête se mettent en pilote automatique. Je m’accomode de n’importe quel quotat de sommeil et de nourriture, j’y suis presque insensible. Je me retrouve à déployer même parfois des trésors d’énergie insoupçonnés, ce qui me met dans une situation un peu schizophrénique vue de l’extérieur : j’ai l’air d’un zombie, et en même temps j’ai des « crises d’hyper-activité ». Des trucs cons en plus. Je crois que le but inconscient est de faire quelque chose, n’importe quoi, sous peine de m’effondrer. Je peux par exemple me lancer dans une session menage de 4h. Par exemple. Ou aller me défouler à la piscine. N’importe quoi, pourvu que je ne m’arrête pas. Je peux meme avoir une humeur franchement joyeuse. Mais l'humour est la politesse du desespoir, aussi.

Dans ce contexte, évidemment physiquement c’est pas le top.

Mais alors nerveusement là ça vaut le détour. J’intériorise. Alors que dans la phase précédente je suis à fleur de peau, là, j’encaisse. Plus la force de crier, de m’énerver, de pleurer, encore moins de m’expliquer. Je deviens patiente et relativise tout, quitte à tout mettre sur mon compte et à m’excuser pour des fautes non commises. Avancer, avancer, ne pas s’attarder sur des broutilles. Je deviens assez cynique, aussi, ce qui peut être assez destabilisant et agaçant pour les autres. Je m’en fous de tout, « chuis plus à ça près » devient mon leitmotiv.

Evidemment, comme dans tout processus d’intériorisation, ya un moment où la goutte d’eau fait déborder la baignoire, et où le vase se brise.
Puissance 10.
Je commence des grandes crises de colère froide ou je ne suis plus moi-même. Parfois même je ne me souviens plus de ce que j’ai pu dire ou faire dans ces moments. Là, je suis capable de tout, il suffit de me pousser un peu, et la mayonnaise je la monte toute seule. Jusqu’à la fin de la crise, qui le plus souvent voit ma baignoire de larmes se déverser copieusement.
Mais parfois aussi, la colère a du mal à trouver le chemin de la sortie. Alors je dois l’aider, pour l’évacuer à tout prix. C’est là que je fais des trucs cons, genre provoquer en duel des murs ou des couteaux de cuisine.

Ces crises me laissent complètement sur le carreau, comme après un match de boxe que j’aurais livré à moi-même.

Si tout va bien, et que la baignoire s’est entièrement vidée, alors je repars sur de bonnes bases, et j’ai droit a un peu de repit, jusqu'à ce que la fatigue revienne.
Mais s’il reste un fond d’eau, alors je reste dans la phase 2, indéfiniment.

C’est tres con comme maladie, la dépression.
Si au moins, c’etait linéaire...
Mais non ! c’est cyclique, ou bien c’est les montagnes russes ; c’est lancinant et pervers, ça s’en va et ça revient pile quand on pense qu’on en est débarrassé. C’est un combat de tous les jours, qui vire à la schizophrénie parfois, où j’en viens à me demander mais bordel qui je suis ? Celle qui se bat ou celle qui se laisse faire ?
Oui, tous les depressifs N’ONT PAS l’air dépressif, fatigués en permanence, se plaignant 24h/24. Non, une déprime N’EST PAS une dépression.

La dépression n’est toujours pas considérée comme une maladie par beaucoup de gens. C’est un état d’esprit que l’on choisit, et après tout chacun a ses problèmes, et elle a tout pour être heureuse, et blablabla. Je crois qu’ils ne comprennent pas.

Mais comment leur en vouloir ? Moi-même, je ne la comprends pas. Est-ce à dire que je ne me comprends pas moi-même ? Peut-être. Et c’est là que l’on rentre dans le cercle vicieux : on se heurte toujours au même mur d’incompréhension. D’où le besoin absolu de ce tiers pour casser cette dynamique.
Pas forcément quelqu’un qui vous décodera en entier, ce serait trop facile, et c’est pas faisable de toute manière.
Mais rien que le fait de ne pas laisser ses propres mots-maux tourner en rond dans sa tête, dans son coeur, dans ses tripes, mais les laisser s’échapper grâce à cette personne, qui va agir comme un aimant...
Je vous jure, les mots sonnent différemment quand ils sont dits. Comme un objet maléfique que l’on aurait désenvouté. A l’intérieur, ils nous terrorisent, ce sont des ogres qui nous dévorent et nous rongent. A l’extérieur, ils deviennent de petites araignées noires -qui certes nous effraient, mais qui le sont encore plus de nous- qu’on regarde s’enfuir avec soulagement.
Evidemment, je suis en phase 2, j'y suis depuis un peu plus d'un mois. J'ai pas encore reussi a evacuer le trop-plein...

Mais laisse-moi te dire un truc, ma vieille : ça fait un certain temps que je vis avec toi, pas le choix, cohabitation forcée. Mais je t’ai bien observée, et crois-moi, à un moment, c’est toi qui auras peur de moi. T’as beau être une dépression confortablement logée, c’est pas pour autant que je vais te laisser faire. La trêve hivernale est finie ma cocotte, et puisque tu veux pas te casser malgré les coups de pieds dans le cul, et ben on va voir si à l’usure tu tiens le coup. Tu finiras bien par déménager, je te le promets.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

En ces temps de campagne électorale, je milite activement pour le refus du droit d'asile aux dépressions de toutes sortes... et leur reconduite immédiate à la frontière psychique ! Et si ça suffit pas : on leur enverra Sarko, Le pen et le vicomte...ça va les calmer !
T'as bien raison Chachou : bats-toi, je suis sûre que tu vas gagner ! Je t'aime.

Anonyme a dit…

Parfaite description. Comme tu le dis, les mots ne sonnent pas pareil prononcés qu'à l'intérieur. Bon, j'ai pas lu tout haut, mais je comprends mieux le cycle, et ça, c'est déjà pas mal.
Alors merci.

Chachou a dit…

Boh de rien, ca me fait du bien a moi en premier, alors si en prime ca t'aide toi aussi, c'est que du bonheur !
Ton billet sur ton blog, ou tu te demandes si finalement tu serais pas la fille,avec les dialogues avec ton Loulou, m'a fait mourir de rire ...

Anonyme a dit…

Comme Craquette
Pas mieux
Et nous on est là
JE T'AIME

La Nonne a dit…

je t'attends à Paris avec pleins d'alcool blanc pour oublier...

Anonyme a dit…

Bah je suis contente de t'avoir fait rire parce qu'on dirait bien qu'y'en a une qui en a bien besoin, aussi... Des pensées pour aller mieux