15 mai 2008

Parfois, j'ai l'impression qu'Ils se foutent de nos gueules...

En tant que citoyen français vivant dans le pays des droits de l’Homme, vous pensez que vos droits sont protégés grosso modo en toutes circonstances.

Globalement, vous avez confiance en la Justice française, encore que souvent, vous la trouvez trop laxiste avec certains peut-être, notamment dans le domaine de la justice pénale*1 : quand vous entendez que certains criminels, notamment violeurs, sont relâchés après avoir purgé leur peine, ça vous hérisse le poil, et vous souhaiteriez presque voir la peine de mort temporairement rétablie.

Vous, bien sûr, vous ne vous sentez pas concernés. Vous êtes quasi-irréprochables (bon, OK, à part le tout petit excès de vitesse de la semaine dernière, mais vous étiez en retard pour aller chercher le petit au judo). Et même si un jour vous êtes pris en faute, et bien vous serez de bonne foi bien évidemment, et ne contesterez pas (ou juste pour la forme : vous étiez VRAIMENT en retard, et vous ne vouliez pas laisser le petit tout seul dans la rue, par les temps qui courent…).

 

Bon.

 

Et bien je suis désolée de vous décevoir, mais ce n’est pas pour autant qu’un jour, vous n’aurez pas affaire à la justice pénale, et même à la défense pénale. En effet,

la défense pénale concerne toute personne ayant commis ou étant victime ou témoin d’une infraction relevant du pénal. Il s’agit par exemple de personnes ayant été arrêtées par la police, placées en garde à vue, convoquées par le juge d’instruction, mises en examen ou encore devant comparaître devant l’un des 3 tribunaux pénaux (Tribunal de Police, Tribunal Correctionnel ou Cour d’Assises). Nous sommes donc tous potentiellement concernés par la défense pénale.

Dans cette perspective, il n’est pas inintéressant de se pencher sur les droits de la défense pénale, i.e les droits que tout individu doit se voir garantir au cours de la procédure pénale qui le concerne, qu’il soit témoin, victime ou accusé. D’autant que, ces derniers temps, à l’occasion de faits divers judiciaires, les médias ont dénoncé à de nombreuses reprises des manquements à certains droits fondamentaux dans la mise en œuvre de la procédure pénale. Ce constat (enfin, toutes proportions gardées) est inquiétant, car quand on parle droits de l’Homme, c’est indirectement et plus globalement au statut d’Etat de droit *2 que l’on touche.

Alors, la France, Etat de droit ? Lauréat des droits de la défense ou bonnet d’âne ? Un peu de patience, vous allez voir ça de suite, je vous garantis que ça vaut le coup !

Les droits de la défense regroupent un certain nombre de droits permettant à toute personne de se protéger contre la menace d’un procès pénal. Il s’agit, par exemple, du droit d’être informé de la procédure, du droit à un procès équitable, du droit d’être jugé par un tribunal impartial, du droit d’être assisté par un avocat, de disposer du temps nécessaire pour préparer sa défense ou encore d’avoir accès au dossier pénal. Citons aussi le droit de se taire, le droit d'être jugé dans un délai raisonnable, et le droit de contester une décision de justice.

Les droits de la défense recouvrent aussi le principe du contradictoire ainsi que le principe de l'égalité des armes. Le premier est étroitement associé au second : l'accusateur et la personne poursuivie doivent être en mesure de s'apporter mutuellement la contradiction, de discuter les preuves présentées et de verser aux débats tous les éléments qu'ils détiennent.

Le procès équitable ainsi garanti traduit le passage du droit du plus fort *3 au droit du plus juste, fondement essentiel de l'Etat de droit. Pour renforcer encore ces fondements, le législateur a décidé de protéger ces droits.

Les grands principes de la procédure pénale sont inscrits à l'article préliminaire du Code du même nom. Il stipule comme nous venons de le voir que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire, et préserver l'équilibre des droits des parties. Mais elle doit aussi garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement. Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles. L'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale. Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie.

Mais pour donner une force symbolique à ces droits de la défense, le législateur ne s’est pas contenté de mentionner ces principes dans le code pénal. Ainsi, le Conseil Constitutionnel a reconnu que le principe des droits de la défense résulte de l’article 16 de la déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Vouloir rattacher les droits de la défense à cet article précis de la DDHC (même si contestable sur la forme) est un acte fort du législateur et de l’exécutif : cet article établit effectivement clairement le lien entre protection de droits et Constitution, autrement dit Etat de droit.

 

Ainsi, en théorie, le respect des droits de la défense semble garanti par de nombreux textes, légaux et constitutionnels. La volonté française de préserver ces droits est-elle pour autant à la hauteur de ce qui est attendu d’un Etat de droit démocratique ?

 

Et bien en fait, pas vraiment. Tout d’abord, parce que la valeur constitutionnelle des droits de la défense n’a été reconnue que très tardivement, et encore, de manière insuffisante. En premier lieu, il est bon de préciser que le Conseil Constitutionnel n’a reconnu que le 30 mars 2006 (non non, ce n’est pas une blague), que le principe des droits de la défense résulte de l’article 16 de la DDHC de 1789, i.e que ces droits ont valeur constitutionnelle.

Un des droits de la défense les plus emblématiques est la présomption d’innocence. Or, celle-ci ne fut introduite dans le droit français qu’en 1994, et encore uniquement dans le Code civil, à l’article 9-1 : « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence ». Le législateur ne précisait, et ne précise toujours pas ce qu’il entend par « présomption d’innocence », d’où la difficulté de protéger quelque chose qui n’est pas défini en tant que tel.

Aussi, de nombreuses personnes citent en exemple la loi Guigou relative à la protection de la présomption d’innocence et aux droits des victimes, qui a marqué un grand pas en avant dans la protection des droits de la défense. Or, cette loi n’a été adoptée que le 15 juin 2000 !

Ces omissions semblent d’autant plus paradoxales, que la France est un pays traditionnellement de droit écrit, où tout remonte à des textes précis. Le fait de ne pas préciser, expliciter concrètement ce qu’est la présomption d’innocence est d’autant plus dommageable qu’en droit pénal, l’écrit a une force particulière. Or, le fait de se référer à un droit écrit précis est particulièrement nécessaire aujourd’hui, car les acteurs du procès pénal sont soumis aux pressions de l’opinion publique.

 

Pour le législateur et l’exécutif, les droits de la défense ne semblent donc qu’être de grands principes vides de sens. L’exemple de la présomption d’innocence illustre particulièrement bien les paradoxes qui existent entre la volonté théorique de protéger les droits de la défense, et la pratique. Ainsi, la Constitution française de 1958 n’évoque pas en soi la présomption d’innocence, pas plus qu’elle ne définit la détention arbitraire pourtant évoquée à l’article 66 (« nul ne peut être arbitrairement détenu »). Cet article se contente de préciser que sa propre mise en œuvre relève de la procédure pénale.

Or, jusqu’en 2001, le code de procédure pénale ne mentionnait pas une seule fois le principe de présomption d’innocence. C’est n’est qu’à l’occasion de la promulgation de la loi Guigou du 15 juin 2000 qu’ont été ajoutées à l’article préliminaire du Code de procédure pénale ces lignes : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie ». Autant dire que jusqu’en 2001, rien dans la loi ni dans la procédure pénale ne garantissait le respect de ce principe.

Pourtant, l’article 7 de la DDHC - déclaration ayant valeur constitutionnelle depuis 1971- stipule que « nul homme ne peut être arrêté, accusé ni détenu  que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites ». En omettant précisément de déterminer, dans la loi et le code de procédure pénale, ce que sont la détention arbitraire et la présomption d’innocence, le législateur bafoue un des droits de l’Homme qu’il a pourtant reconnu dans le bloc de constitutionnalité ! Il devient alors légitime de se poser la question de la volonté véritable du législateur de protéger les droits de la défense, tant celle-ci ne semble être qu’une déclaration vide de sens.

Le besoin de sécurité de plus en plus prégnant dans notre société, la tendance à la victimisation et la volonté des médias de relayer de plus en plus les faits divers judiciaires laissent le champs libre aux émotions dans de grands débats politiques et sociaux. Dans le même temps, les contradictions entre l’intention de protéger les droits de la défense, et l’insuffisance des moyens mis à disposition pour atteindre cet objectif compliquent encore davantage la tâche des acteurs de la défense pénale.

Il me semble que l’occasion est alors venue pour l’Etat français de combler ces lacunes et de se montrer à la hauteur de son rôle affiché de défenseur des droits de l’Homme.

 

 

*1 le droit pénal vise à punir une personne ayant commis une infraction, tandis que le droit civil a pour but d’amener une personne ayant causé des dommages à les réparer.

*2 Etat de droit : garantit que le fonctionnement des relations au sein d’un Etat entre citoyens et gouvernants n’est gérée que par la Loi (lois, Constitution etc), elle même approuvée par un vote démocratique.

*3 cf ancien système des Ordalies, ou jugement par une épreuve de force

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